N°100, 5 octobre 2023
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1933-2023 : l'incroyable saga d'Air France
(source La Tribune) 30 septembre - Le Concorde a marqué
l'histoire d'Air France pendant près de trois décennies. À l'issue
d'un été bien rempli et prometteur sur le plan financier, Air France
vient de lancer les festivités pour son 90e anniversaire. L'occasion
de revenir sur les grandes dates qui ont fait l'histoire de la
compagnie nationale. Air France est sur le point de fêter
son 90e anniversaire. Si la date officiellement retenue jusqu'ici
est le 7 octobre, la compagnie nationale a lancé les festivités dès
ce mercredi 26 septembre aux Galeries Lafayette. Elles se
poursuivront dans les prochaines semaines, faisant le tour des
escales internationales d'Air France. La Tribune revient sur
neuf décennies d'une histoire riche mais mouvementée, qui a vu Air
France être l'ambassadrice du pays sur tous les continents mais
aussi le symbole d'une compagnie dure à faire évoluer face à de
nouvelles concurrentes aussi agiles que redoutables. Après avoir été
portée à bout de bras par l'État pendant la crise sanitaire, Air
France a aujourd'hui retrouvé le chemin de la rentabilité, surfant
sur le dynamisme actuel du transport aérien pour signer quelques
performances records. Retour sur les grandes dates qui ont fait
l'histoire de la compagnie.
1933 : Naissance d'Air
France Le 7 octobre 1933, plus de deux ans après le
scandale de la liquidation de la prestigieuse Aerospostale, Air France voit le jour
par la décision du ministre de l'Air Pierre Cot de fusionner quatre
compagnies aériennes françaises en difficulté après la crise de
1929. Air Orient en est l'épine dorsale et lui apporte son emblème,
l'hippocampe ailé, surnommé au sein d'Air France « la crevette ».
Ainsi, quatorze ans après la création des premiers transporteurs
français, l'État -maître absolu dans l'attribution des concessions
d'exploitation des lignes aériennes-, impose le monopole d'une
compagnie unique, certes privée mais dont la vocation est de voler
« pour le service et l'honneur de notre pays ». Air France est
lancée avec une flotte de 225 avions déployés vers l'Europe, la
Méditerranée orientale, l'Amérique du Sud, puis l'Extrême-Orient.
1948 : Max Hymans, le président de la reconstruction
Air France sort exsangue de la guerre. La compagnie passe en 1945
sous le contrôle de l'État pendant que l'Aviation civile (DGAC) est
nationalisée. Trois ans plus tard, en 1948, Air France devient
compagnie nationale. Max Hymans est nommé président. C'est lui qui
va reconstruire la compagnie et la hisser parmi les plus grands
transporteurs mondiaux. À côté du réseau vers les colonies,
il multiplie les ouvertures de lignes prestigieuses : Tokyo, Mexico,
Rio de Janeiro, Lima et met l'accent sur l'Amérique du Nord. Dans le
prolongement de la ligne Paris-New-York, lancée en 1946, Boston et
Montréal suivent rapidement. Au milieu des années 50 Air France se
targue de posséder le « réseau le plus étendu du monde ». Le
trafic suit. Entre 1946 à 1963, il bondit de 14 % par an. À la même
époque, Max Hymans comprend que le transport aérien est à l'aube
d'une véritable révolution : celle de l'ère des avions à réaction
qui va ouvrir la voie à la démocratisation du transport aérien. Il
commande douze Caravelle et dix Boeing 707 dont les premiers
exemplaires font leur entrée dans la flotte d'Air France à la fin
des années 50. Le virage du transport moderne est pris.
1963 : UTA débarque dans le ciel français, Air Inter y fait
son trou Le soutien financier de l'État-actionnaire à
Air France (le premier bénéfice ne sera dégagé qu'en 1966), n'a pas
découragé l'émergence de nouveaux acteurs privés dans le ciel
français. Parmi eux, Air Inter en 1960 et UTA en 1963, sont
indissociables de l'histoire d'Air France. Deux trublions qui finiront par tomber dans
son escarcelle dans les années 90. Née en 1963 de la fusion entre
TAI (Transports aériens intercontinentaux) et UAT (Union
aéromaritime des transports), la célèbre UTA (Union des transports
aériens) ne cessera de monter en puissance grâce à son réseau vers
l'Afrique, l'Extrême-Orient et le Pacifique. En 1963 Air Inter, une
autre compagnie privée, s'est fait une place dans le ciel tricolore.
Trois ans après son vrai démarrage en 1960 (une première tentative a
échoué en 1958), la compagnie est en passe de gagner son pari risqué
de desservir le territoire national, délaissé par Air France. Avec
son service sans fioriture précurseur des low-cost d'aujourd'hui,
Air Inter démocratise le voyage aérien français. Le succès
commercial est au rendez-vous. Le trafic progresse de 50 % par an.
En 1970, Air Inter transporte 2,7 millions de passagers avec 40
appareils. 19 mai 1968, la victoire des pilotes
Les pilotes d'Air France, mais aussi d'UTA et Air Inter se mettent
en grève pour trois jours. Ils exigent un calcul de rémunération
plus large que le seul temps passé en vol. La réponse des directions
est excessive. Tous les avions sont cloués sur le tarmac. La grève
s'enlise pendant 26 jours. Le gouvernement Chaban-Delmas pousse les
trois présidents à renouer le dialogue. Les pilotes obtiennent gain
de cause. Et deviennent un puissant contre-pouvoir.
1976 : Concorde décolle Le 21 janvier 1976, Air France
met en service le Concorde sur la ligne Paris-Dakar-Rio de Janeiro,
pendant que le même jour la BOAC (la future British Airways) lance
le supersonique entre Londres et Bahreïn. Suivront quelques mois
après Paris-Caracas et Paris-Washington. Puis un an plus tard entre
Paris et New York qui deviendra rapidement pour des raisons
économiques la seule et unique ligne de Concorde. Symbole de luxe et
d'exception, Concorde a apporté un « plus » à l'image d'Air France,
que seule British Airways, l'autre compagnie à exploiter l'appareil,
pourra lui disputer. En juillet 2000 le crash de Gonesse près de Roissy
faisant 144 victimes scelle le destin du bel oiseau blanc. En
novembre 2003, son exploitation déficitaire est arrêtée.
12 janvier 1990 : rachat d'UTA Au cours de la
première moitié des années 1980, Air France continue son ascension.
En 1984, au moment où Pierre Giraudet quitte la tête de la compagnie après dix ans de
présidence, Air France est la quatrième compagnie mondiale en termes
de trafic et dégage des bénéfices. Le 12 janvier 1990,
craignant sûrement de voir UTA passer sous pavillon étranger,
notamment sous l'aile de British Airways, Air France débourse la
somme 7 milliards de francs (1,06 milliard d'euros) pour prendre le
contrôle de ce rival de plus en plus agressif. La transaction revêt
un autre caractère stratégique. Elle permet à Air France de
récupérer les 35,8 % qu'UTA détenait dans Air Inter et de posséder
ainsi plus de 75 % du capital de la compagnie intérieure, avant de
l'absorber en 1997. Ce coup à plusieurs bandes lui assurera
ainsi la maîtrise du réseau intérieur au moment où la compagnie
mettra en place sa stratégie de hub. Le tout en écrasant les
offensives des nouveaux concurrents AOM ou Air Liberté. Mais l'achat
d'UTA est aussi le point de départ d'une descente aux enfers qui a
failli mettre Air France au tapis à l'époque. L'acquisition s'est
faite sans augmentation de capital, pendant qu'Air France
investissait dans le renouvellement de sa flotte, à l'aube d'un
violent retournement de cycle du secteur avec la guerre du Golfe en
1991. Les plans de baisse de coûts se succèdent. En vain.
Les pertes se creusent. La dette s'élève à 36 milliards de francs en
1993. Air France perd des parts de marché. À l'été 1993, Bernard
Attali aux commandes d'Air France depuis 1988, lance un énième plan
de réductions de coûts. La coupe est pleine pour le personnel qui
déclenche une grève dure. Manifestations, affrontements avec les CRS
sur les pistes d'Orly et de Roissy, Air France est une poudrière. Le
gouvernement Balladur retire le plan le 24 octobre. Bernard Attali
démissionne. 27 juillet 1994, 20 milliards de francs
pour une Perestroïka Trois jours après la démission de
Bernard Attali, Christian Blanc devient le 27 octobre 1994 président
d'une entreprise cliniquement morte. Il associe le personnel au
sauvetage de la compagnie en leur demandant de proposer des
solutions.
Sur la base de cette consultation, il rédige un projet d'entreprise
sans concessions : hausse de productivité de 30 % en trois ans,
suppression de 5.000 postes, gel des salaires pendant deux ans....
Le texte est soumis à référendum en avril 1994. Le « oui »
l'emporte. Christian Blanc peut lancer la révolution d'Air
France. Mais pour l'accompagner, il exige et obtient de
l'État-actionnaire une aide financière. Le 27 juillet, Bruxelles
donne son feu vert à la recapitalisation d'Air France par l'État
français à hauteur de vingt milliards de francs (3,05 milliards
d'euros). 2 avril 1996 : le hub de Roissy, l'arme de
la reconquête Le 2 avril 1996, Air France ouvre son hub
de Roissy. Véritable arme stratégique, le hub est un système de
correspondances optimisé à outrance. Le programme de vols est en
effet organisé de façon à ce qu'une multitude d'avions arrivent
quasiment en même temps à l'aéroport pour se connecter, dans un
délai très court, à une vague de départs. Un véritable ballet
aérien. Ainsi, ces
« rendez-vous » étalés tout au long de la journée permettent un
maximum de correspondances dans un délai très court, généralement
entre les vols moyen et long-courriers, les premiers alimentant en
passagers les seconds. Dès le programme été 1996, le hub permet à
Air France d'augmenter son offre de dessertes en correspondance à
Roissy de 145 %. Air France s'est donné les moyens de réussir.
Christian Blanc a fait appel à deux orfèvres en la matière. Steven
Wolf ancien PDG de United Airlines qui emmène avec lui l'inventeur
du « hub » l'indo-américain Rankesh Gangwal. Celui-ci met le
programme de vols en musique. Le credo : uniformisation des
horaires, standardisation des appareils sur la même destination,
augmentation des fréquences, accroissement du nombre de vols
directs, suppression des sauts de puces et fermeture des escales les
moins rentables... Une véritable révolution culturelle.
22 février 1999, l'entrée en Bourse Malgré la
grève des pilotes en juin 1998 à la veille de la Coupe du Monde de
football en France, Air France, dirigé par Jean-Cyril Spinetta depuis l'automne 1997,
dégage des résultats positifs. Suffisamment solides pour pousser
Bercy à réduire sa participation dans le capital d'Air France. Plus
de 24,4 % de sa participation ou celle d'actionnaires publics sont
mis sur le marché, tandis que 12 % sont ouverts aux salariés, dont
8 % pour les pilotes dans le cadre d'un échange salaire-action. Au
final la part de l'État est ramenée à 54,4 %. 20
juin 2000 : Air France pilier de Skyteam En prenant les
rênes d'Air France, Jean-Cyril Spinetta s'appuie sur les fondamentaux instaurés par
Christian Blanc et lance Air France dans une phase de croissance
rentable. Isolée sur la scène internationale, Air France convainc en
juin 1999 Delta Airlines de nouer un partenariat commercial fort.
Cet accord donnera naissance le 20 juin 2000 à l'alliance
Skyteam qui regroupe également Aeromexico et Korean Air, puis tour à
tour Czech Airlines, Alitalia, KLM, Northwest, Continental (qui la
quitte aujourd'hui), Aeroflot et China Southern.
Aujourd'hui, Skyteam est la deuxième des trois alliances derrière
Star Alliance (Lufthansa, United) et devant Oneworld (British
Airways, American...). 3 mai 2004 : acquisition de
KLM Le 9 avril 2003, la loi rendant possible la
privatisation d'Air France
paraît au Journal Officiel. Quand les conditions du marché le
permettront, l'État réduira sa part dans le capital d'Air France de
54,4 % à « un peu moins de 20 % ». Cet affranchissement de l'État
est indispensable pour nouer des alliances capitalistiques avec
d'autres compagnies européennes privées, hostiles à l'idée de passer
sous le contrôle d'une entreprise publique. Cinq mois après,
le 16 septembre, Air France et KLM signent un accord de
rapprochement. Le 3 mai 2004, à l'issue du succès de l'offre
publique d'échanges (OPE) la fusion est effective. La participation
de l'État est diluée automatiquement dans le nouvel ensemble, pour
tomber à 44% (28,6% aujourd'hui). Air France est privatisée. Et
devient avec KLM le premier groupe aérien mondial en chiffre
d'affaires. Le coup est parfait. KLM est une pépite. Son prix (800
millions d'euros) est dérisoire pour une compagnie forte de plus de
200 avions, et dont la restructuration a déjà été lancée. La
fusion débute au moment où le trafic repart fortement la hausse. Le
groupe atteint des niveaux de bénéfices jamais atteints dans
l'histoire d'Air France. En 2007-2008, Air France-KLM dégage 1,4
milliard de bénéfices d'exploitation malgré la cherté du prix du
baril. Hélas, la crise qui a suivi l'effondrement de Lehman Brothers
en septembre 2008 va mettre fin à cette période dorée. En 2008-2009,
pour la première fois depuis le rapprochement avec KLM et pour la
première fois depuis 13 ans, Air France est en perte. Un an plus
tard, elles seront multipliées par 10 à 1,3 milliard d'euros. Air
France est en crise. Le traumatisme de l'accident de l'AF 447 au
large des côtes brésiliennes le 1er juin 2009, faisant 228 victimes,
n'a fait qu'amplifier le doute qui s'est installée dans
l'entreprise. Le faux rebond de l'année 2010 et la crise de
gouvernance qui en suivie en 2011, retarderont les mesures à prendre
pour entamer le redressement. 1er juin 2009,
l'accident de l'AF447 Le 1er juin 2009, un Airbus A330
d'Air France qui assurait la ligne Rio-Paris s'abîme dans l'Atlantique Sud entre le
Brésil et le Sénégal, faisant 228 victimes. Le 10 octobre 2022,
après deux ans de recherches pour retrouver l'épave et les
enregistreurs de vol (les fameuses boîtes noires) au fond de
l'océan, trois ans d'enquête technique et dix ans d'instruction, Air
France et Airbus sont jugés pour homicides involontaires. Le 27
avril 2023, dix jours après la relaxe du constructeur et de la
compagnie aérienne, le parquet général fait appel de ce jugement.
Janvier 2012, le plan de sauvetage Transform 2015
La situation de la compagnie française est catastrophique. Fin 2011,
les fonds propres sont si bas (moins de la moitié du capital social)
qu'ils obligeront plus tard dans l'année, comme le Code du commerce
le stipule, de tenir un conseil d'administration pour se prononcer
sur le maintien ou la cessation d'activité. Air France a deux ans
pour se recapitaliser ou réduire son capital social. Certes
symbolique, cela en dit long sur l'état d'Air France. Le 12
janvier 2012, Air France-KLM, lance le Plan Transform 2015 qui vise à
réduire la dette de deux milliards d'ici à 2015, à 4,5 milliards
d'euros par la génération de deux milliards de cash-flow (hors
investissements). Ce plan combine des mesures immédiates de gel des
salaires et de réduction d'investissements et d'amélioration de la
productivité. Celle-ci passe par la révision des accords collectifs
avec toutes les catégories de personnels dans le but d'augmenter de
20% l'efficacité économique d'Air France. Ces mesures engendrent un
sureffectif qui sera réglé par un plan de départs volontaires
portant sur 3.400 personnes. Insuffisant néanmoins. Le 18
septembre 2013, la direction annonce des mesures supplémentaires
pour atteindre les objectifs de Transform. Pour redresser le
moyen-courrier et le cargo, elles passent par une réduction de
l'offre et un recours accru à la sous-traitance dans les escales. Un
nouveau PDV est annoncé. Il touche cette fois-ci 2.800 personnes.
Fin 2014, Air France aura supprimé près de 10.000 personnes depuis
2010. Septembre 2014, la levée de boucliers des
pilotes Début 2014, Alexandre de Juniac espère qu'Air France a mangé son
pain noir et entend passer d'une phase de redressement à une phase
de développement d'ici la fin de l'année. Le principal axe poussé
par le PDG d'Air France-KLM est la croissance accélérée de
Transavia, la filiale low-cost du groupe composée de deux entités :
Transavia Holland créée en 1965 et détenue par KLM et Transavia
France lancée fin 2006 par Air France. L'objectif est de mettre en
place une Transavia Europe avec des bases réparties sur le Vieux
Continent, à l'image d'Easyjet ou de Ryanair, avec un doublement de
la flotte pour atteindre 100 appareils dès 2017. Les opérations
doivent débuter à l'été 2015, avec des implantations au Portugal et
en Allemagne. Dans un climat social déjà tendu, les pilotes
d'Air France ne l'entendent pas de cette oreille. Sous l'impulsion
du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), ultra-majoritaire,
une grève est déclenchée le 15 septembre. Ils souhaitent notamment
un contrat unique pour les pilotes d'appareils de plus de 110 places
- ce qui n'est pas compatible avec les objectifs de maîtrise des
coûts de ce projet - ainsi que des garanties sur le périmètre. Le
mouvement, dur, se prolonge pendant deux semaines, soit le plus long
mouvement social de l'histoire de la compagnie. 5
octobre 2015, la chemise arrachée La grève n'est pas
sans conséquence. Elle coûte 500 millions d'euros à Air France, la compagnie
enregistre une sixième année de perte consécutive et le projet
Transavia Europe est abandonné. L'ambiance est toujours tendue au
printemps suivant lorsque Alexandre de Juniac lance les négociations
sur le nouveau plan stratégique Perform, qui doit succéder à
Transform 2015. En septembre, faute d'accord avec les syndicats, la
direction lance un « plan B » d'attrition avec l'annonce d'une
réduction de 10 % de l'activité long-courrier, l'annulation de
commandes d'avions et le départ de 1.000 salariés en 2016 et 1.900
en 2017, avec la menace de départs contraints. La nouvelle
met le feu aux poudres : des membres de la direction sont agressés
par des salariés furieux devant le siège social à Roissy. Les images
de deux cadres d'Air France escaladant un grillage pour leur
échapper, dont le DRH Xavier Broseta, font le tour du monde.
L'exposition est désastreuse pour la compagnie. Malgré cet
épisode, Air France-KLM comme Air France repassent enfin dans le
vert. La direction relance le plan Perform début 2016. Si le départ
de 1.000 salariés est acté pour l'année en cours, un scénario de
croissance se dessine pour la suite. Dans les grandes lignes, c'est
une réplique du plan proposé un an plus tôt, mais avec une nouvelle
méthode qui redonne de la place au dialogue social.
16 août 2018, la nomination de Benjamin Smith Le climat
ne reste pas apaisé très longtemps. Alexandre de Juniac démissionne en avril 2016
pour prendre la direction générale de l'Association internationale
du transport aérien (Iata), visiblement harassé par l'impossibilité
de réformer Air France en profondeur. Jean-Marc Janaillac lui
succède à la tête d'Air France-KLM. S'il finit par faire accepter
son plan Trust Together - conduisant au lancement de la compagnie
low-cost Joon, qui s'achèvera par un fiasco en 2019 - les mouvements
sociaux se succèdent. Jean-Marc Janaillac finit par démissionner à
son tour en mai 2018, suite au référendum qu'il avait lui-même lancé
pour régler un différend salarial avec les syndicats. Après
trois mois de réflexion, c'est le Canadien Benjamin Smith - que tout
le monde surnomme « Ben » à l'époque, voire « Ti Ben » - qui est
choisi. Le désormais ex-numéro 2 d'Air Canada est le premier patron
étranger à diriger Air France-KLM. Un choix qui reflète l'influence
grandissante de Delta Airlines au sein du groupe. Partenaire au sein
d'une coentreprise transatlantique depuis 2009, la compagnie
américaine est entrée au capital d'Air France-KLM en 2017 aux côtés
de China Eastern Airlines, à hauteur de 10 % chacun. Si l'État
français, qui pousse traditionnellement à la sélection d'un
dirigeant tricolore, accorde son soutien à Ben Smith, les syndicats
sont vent debout au nom du patriotisme économique. Malgré
cette opposition de départ, le nouveau patron règle le conflit
salarial en moins d'un mois. Un magicien disent alors certains. Il
sort certes le carnet de chèque, mais le poids des augmentations
reste raisonnable surtout en comparaison de ce qu'a coûté le dernier
mouvement de grève. Dans la foulée, Benjamin Smith obtient des
pilotes le développement de Transavia France au-delà du plafond de
40 appareils fixés en 2014. La compagnie a aujourd'hui 70 avions et
va recevoir d'ici la fin d'année son premier Airbus A320 NEO.
L'autre grand chantier de Benjamin Smith est la mise en place d'un
groupe plus intégré, avec une gouvernance capable d'imposer sa
stratégie à Air France dirigée par Anne Rigail d'un côté, et surtout
à KLM menée par l'inflexible Pieter Elbers de l'autre. Ce dernier
n'hésite pas à défendre bec et ongles l'autonomie de sa compagnie et
à faire passer les intérêts néerlandais avant ceux de groupe. Une
situation qui empoisonne la vie d'Air France-KLM depuis de longues
années. Et ce avec le soutien de l'État néerlandais, qui lance
l'acquisition de 14 % du capital du groupe dans le plus grand secret
au grand dam des Français. Ben Smith finit néanmoins par remporter
la partie avec le départ de Pieter Elbers, révélé par La Tribune en
janvier 2022. Mars 2020, la pandémie de Covid-19
2019 est une année record pour le transport aérien et Air France-KLM
profite de la croissance, même si la rentabilité reste faible, en
particulier chez Air France. Mais en mars 2020, tout s'arrête,
l'épidémie de Covid-19 devient une pandémie mondiale. Les compagnies
annulent leurs vols en pagaille, les frontières se ferment et le
premier confinement se dessine. Le coup est rude pour Air
France-KLM. Privé de recettes, le groupe perd 25 millions d'euros
par jour et Air France n'a des liquidités que pour tenir jusqu'en
juin. Ce sont les États qui viennent à la rescousse. Paris
accorde un prêt d'actionnaire de 3 milliards d'euros doublé d'un
prêt garanti par l'État (PGE) de 4 milliards d'euros à Air France
dès le mois d'avril. La Haye fait de même pour KLM avec un prêt
direct de 1 milliard d'euros et 2,4 milliards de garanties
bancaires. Porté par les aides, le groupe passe l'écueil et le
trafic reprend petit à petit à partir de l'été 2021, malgré les
nombreuses résurgences du virus. Grâce au chômage partiel de longue
durée, Air France-KLM redémarre même mieux que ces concurrents
traditionnels comme Lufthansa. Air France-KLM a perdu plus
de 10 milliards d'euros en l'espace de deux ans et doit reconstituer
ses fonds propres, négatifs de plusieurs milliards d'euros. Une
première opération se déroule en avril 2021, à hauteur de 4
milliards d'euros, largement porté par l'État français (via la
conversion de son prêt en quasi-fonds propres) ainsi que China
Eastern Airlines. L'État néerlandais et Delta Airlines sont dilués.
Une deuxième opération a lieu en mai 2022 pour 2,3 milliards
d'euros. Elle voit l'entrée fracassante de CMA-CGM (devenu depuis
actionnaire de La Tribune) au capital en s'arrogeant 9 % des
actions. Les États français et néerlandais maintiennent leurs
participations, respectivement à 28,6 et 9,3 %. Delta et China
Eastern sont diluées. Septembre 2023, Air France
lance les festivités de ses 90 ans Air France fête ses
90 ans en grande forme sur le plan opérationnel. Après avoir renoué
avec les bénéfices en 2022, grâce à un été record, Air France-KLM a
débuté 2023 de façon très solide avec une rentabilité en forte
progression. Et, une fois n'est pas coutume, c'est bien la compagnie
française qui tire le groupe vers le haut avec l'aide de Transavia
France, tandis que KLM éprouve plus de difficultés. Et les résultats
financiers à venir devraient être à l'image de la très forte demande
de cet été. En tout cas, Benjamin Smith se montre confiant. Preuve
de cette confiance, Air France-KLM vient de passer une commande
record de 50 Airbus A350 pour renouveler une large partie de sa
flotte long-courrier. Air France-KLM a néanmoins encore
plusieurs défis à relever, à savoir renforcer encore ses fonds
propres, toujours largement négatifs, continuer à se désendetter, et
bien sûr continuer à accélérer sa décarbonation, véritable défi des
années à venir.
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